journées d'étude annuelles de la SFG


Paris, 6 et 7 mars 1999



la question du diagnostic



Exposé introductif



Survol du diagnostic des troubles psychiques

à travers les âges et les approches


par Serge Ginger, fondateur de l'École Parisienne de Gestalt (EPG) 1



La "question du diagnostic" n'est pas nouvelle !

Elle s'est posée de tout temps et en tout lieu.

Je vais tenter d'en esquisser un bref aperçu, délibérément subjectif — comme il se doit pour un Gestaltiste.


Et — toujours en Gestaltiste — je vais commencer par l'ici-et-maintenant, avant de re­monter à travers le temps et de vagabonder à travers l'espace.


Tout récemment — ici, à Paris — je m'entretenais avec le Directeur de cabinet du Ministère de la Santé au sujet de la demande de reconnaissance officielle de notre profes­sion de Psychothérapeute.

Voici, à quelques mots près, le tout début de notre entretien :


— J'espère que vous ne pratiquez pas d'exercice illégal de la médecine !

Vous n'ignorez sans doute pas que, selon la réglementation française, seuls les médecins sont autorisés à poser un diagnostic et à entreprendre un traitement !

— Bien entendu, Monsieur le Ministre ! Rassurez-vous ! Nous ne faisons jamais de dia­gnostic ! … Nous nous contentons de… "faire le point" de la situation globale de notre "client" : de ses difficultés psychologiques et/ou familiales, de ses éventuels problèmes relationnels ou sociaux (tels que deuil ou séparation, chômage et découragement, etc.), avec un éclairage qui déborde donc largement la perspective purement médicale… Ainsi, par exemple, un homme impuissant avec son épouse mais en pleine forme avec sa jeune maîtresse, souffre-t-il d'un problème médical ou psychosocial ?

— Merci ! Votre exemple m'intéresse particulièrement… Me voilà rassuré !

Et alors, ayant fait le point, entreprenez-vous un traitement ?

— Que nenni ! Nous sommes loin d'être tous médecins ! Nous nous contentons "d'ac­compagner" le client par des entretiens et des mises en situation…

— Alors, tout est parfait ! Je vous écoute…


Nul n'était dupe, mais — en France, comme ailleurs — tout est dans les mots, il convient parfois que nous nous en souvenions, nous autres Gestaltistes — qui nous targuons vo­lontiers de dépasser la simple verbalisation…


Bref historique


Je ne rappellerai pas ici ce que vous savez tous déjà, à savoir que dans la Haute Antiquité — mais aussi, aujourd'hui même dans bien des cultures — les troubles psychiques n'étaient pas considérées comme des perturbations de l'équilibre individuel mais de l'équilibre social ou spirituel de la communauté — d'où les termes grecs de thérapeute (médiateur entre les dieux et les hommes, entre les Cieux et la Terre, c’est-à-dire entre l'es­prit et le corps, entre l'énergie et la matière) et de pharmacie (du Pharmacos — esclave qu'on offrait en victime expiatoire, en cas d'épidémie).


Curieuse idée que de placer ces journées d'étude sous le signe du diagnostic, alors que bien avant l'interdit légal français contemporain, la Gestalt s'était interdit elle-même de classifier les gens, de les étiqueter en "normaux" ou "pathologiques", refusant toute nor­ma­tivité aliénante, dans une idéologie libertaire qui soulignait l'originalité fondamentale de chaque être singulier… Bien sûr, sous la pression conjuguée des nécessités thérapeu­tiques et des collègues anxieux, de plus en plus de Gestaltistes se sont résignés à distin­guer des catégories de malades et ont tenté de concilier l'esprit de la Gestalt avec les di­verses nosographies : des hypothèses freudiennes aux recherches neurobiologiques, en passant par les jalons d'Isadore From et le désormais incontournable DSM. IV.

Mais nul n'ignore qu'aucun consensus international n'a encore pu être atteint.


Je soulignerai donc aujourd'hui l'arbitraire qui a présidé de tout temps à toutes les classi­fications, ce qui n'interdit pas d'utiliser une carte provisoire pour naviguer plus aisément dans les méandres de la psyché humaine, cela sous réserve qu'on ne prenne pas "la carte pour le territoire" !


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A tout seigneur, tout honneur ! Commençons donc par notre cher Hippocrate — au nom de qui nos confrères médecins prêtent encore serment aujourd'hui… Pour lui, la santé re­pose sur l'équilibre des quatre humeurs : sang, phlegme, bile jaune et bile noire (qui a donné le mot "mélancolie"), correspondant respectivement au chaud, froid, sec et hu­mide. Plus près de nous, Louis Corman a repris dans sa caractérologie les quatre tempé­raments d'Hippocrate : sanguin, flegmatique, nerveux et bilieux, mais Sheldon, après avoir soumis cette hypothèse à une sévère analyse factorielle mathématique, a poignardé cette vieille hypothèse, ne retrouvant que trois variables et non quatre, et il divise donc les hommes en : cérébrotoniques, somatotoniques, et viscérotoniques — ce qu'il rattache au développement dominant de l'un des trois feuillets pri­mitifs de l'embryon : l'ectoderme, le mésoderme et l'endoderme… Quant à moi, je m'accomode des trois à la fois !


Revenons donc à Hippocrate, à ses humeurs et déjà — 24 siècles avant Freud — à la sexualité. Il avait compris que l'hystérie était due à une migration de l'utérus, desséché par manque d'humidité spermatique ; sec et allégé, il remontait à la surface et atteignait le cerveau — pour s'y repaître de la substance blanche, ersatz insatisfaisant du sperme manquant ! Il va sans dire que les prêtres-guérisseurs s’étaient empressés de proposer une humidification plus naturelle et se dépensaient sans compter pour ce type de soins ! Efficace d’ailleurs, puisqu’on sait que l’hystérie était souvent associée à la frigidité…


Le rôle des hôpitaux était rempli par 420 temples d'Esculape, le dieu de la médecine. Les malades possédées y étaient soumises à l'incubation qui était censée leur procurer des songes thérapeutiques induits par le rituel de désenvoûtement : les femmes, entièrement nues, étaient couvertes de lambeaux de peaux de bêtes sanguinolentes, que les prêtres ve­naient d'égorger en sacrifice ; puis elles passaient plusieurs jours et plusieurs nuits, allon­gées sur le sol, à même les dalles froides du temple, parmi les serpents sacrés (non veni­meux), symboles de vie, qui se glissaient en silence sur les corps censés être endormis, et s'enfilaient à l'occasion dans les orifices disponibles… Ces traitements de choc ont été remplacés aujourd'hui par les chocs à l'insuline ou à l'électricité, moins propices à ali­menter la vie fantasmatique des patients.


Dans la civilisation hébraïque antique, les traitements étaient encore moins agréables : les malades mentaux étaient passibles de mort, puisqu’ils étaient habités par les démons, en punition de leurs péchés.

Cependant, les vieillards asthéniques bénéficiaient de soins plus compréhensifs : on les faisait dormir auprès de jeunes personnes fringantes afin qu’elles leur communiquent vi­talité et chaleur… Malheureusement, ce traitement économique a été remplacé aujourd’hui par des comprimés, coûteux pour la Sécurité sociale, amers et… inefficaces ! Jusqu'à l'arrivée toute récente de la petite pilule bleue miraculeuse… et donc, non remboursée ! (j'évoque, bien sûr, le Viagra).


Plus tard, on distingua quatre types de folie : deux folies aiguës avec fièvre, la frénésie et la léthargie ; et deux folies chroniques sans fièvre, la manie et la mélancolie.


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Au IXe siècle, les nombreux pèlerinages thérapeutiques pour fous étaient une pratique courante. Les malades étaient enchaînés (c'étaient les fameux "fous à lier", qu'on évoque encore aujourd'hui) et les cérémonies d'exorcisme étaient précédées de bastonnades pu­bliques, administrées par les passants aux possédés, dans le but de chasser les démons. Le désespoir, classé comme "vice majeur", menant parfois au suicide, était sanctionné en traînant le corps, face contre terre, avant de le jeter… à la décharge publique.


Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin, l’un des précurseurs méconnus de la Gestalt, milita déjà pour l’unification de la matière et de l’esprit :

l’animus, forme corporelle animale, siège des pulsions ;

• et l’anima, âme spirituelle d’origine divine, siège de l’intelligence et de la volonté.

Mais saint Thomas n'obtenait guère plus de résultats que ses prédécesseurs et l'Église fit appel à pas moins de 34 saints, spécialisés dans le traitement de la folie et 70 autres qui guérissaient certaines maladies mentales parmi quelques maladies physiques, soit au total une bonne centaine de saints guérisseurs et exorciseurs. La réputation de certains a fran­chi les siècles, puisqu'on implore encore saint Bernard, saint Dominique ou saint François d'Assise… sans parler de sainte Bernadette de Lourdes !

De nos jours, plusieurs Églises pratiquent toujours l'imposition des mains ; les Américains préconisent le channeling, canalisant les énergies divines ; et les Japonais lui préfèrent le Reiki…


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Je ne veux pas vous lasser par un historique détaillé. Sautons tout de suite à l'époque dite "moderne" par les historiens — époque qui s’étend de la fin du Moyen Age (1453) à la Révolution française. Les médecins d'alors étaient tous tombés d'accord sur le fait évident que toutes les folies, manies ou frénésies avaient pour cause commune "une humeur ou vapeur extrêmement chaude qui se répand dans le cerveau". Ces humeurs étaient provoquées par la coction, ou cuisson en plusieurs temps, des aliments dans le corps : un premier temps où, dans l'estomac, se forme le chyle, "semblable à un lait d'amandes" (Ambroise Paré) ; puis une nouvelle cuisson dans le foie, où le chyle devient chyme, « substance rouge semblable à du vin, laquelle nous appe­lons "sang" ». Je vous passe le détail des processus de fermentation de ce dernier, qui peut même aller jusqu'à devenir une bile noire, la mélancolie.


Il va de soi que ces théories n'étaient, à l'époque, contestées par personne — tout comme, quelques siècles plus tard, tout le monde admettait sans broncher les thèses freu­diennes des "mères schizophrénigènes" ou encore, de l'homosexualité refoulée en tant que cause de la paranoïa.


Je n'évoquerai que pour mémoire, les procédés thérapeutiques prônés par Ambroise Paré (1509-1590), consistant à faire respirer aux hystériques des odeurs fétides — puisque, comme chacun d'entre vous le sait, "l'utérus vagabond fuit les choses puantes". Quant à Chirac… Chirac, le médecin bien connu de Louis XV, il avait mis au point le "Trémous­soir", sorte de fauteuil mécanique reproduisant en chambre les trépidations d'un véhicule sans pneus, pour guérir la mélancolie. Voltaire, éternel hy­pocondriaque, en était particu­lièrement friand. On pratiquait aussi l'ingestion d'excré­ments (aujourd'hui, les yogis lui préfèrent l'urine) ou encore de sang menstruel, pour guérir l'épilepsie, quand ce n'était le sel volatil d'une corne de cerf calcinée ou l'applica­tion sur la tête du mélancolique ou du phrénétique des deux moitiés d'un pigeon vivant, coupé en deux… (Postel et Quétel, 1994). Ce type de pratiques perdure aujourd'hui dans de nombreuses sociétés tribales.


Quant au "grand renfermement" mythique, largement décrié par Michel Foucault dans son Histoire de la Folie, on sait maintenant … qu'il n'a jamais existé — sauf pour 4 000 men­diants et vagabonds — sur les 40 000 qui sillonnaient la capitale… et qui la sillonnent, peut-être encore aujourd'hui ! En fait, l'ensemble des asiles et "maisons de force" de l'époque, comprenaient tout au plus un millier d'internés — soit environ… 100 fois moins qu'aujourd'hui !


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Ce n'est qu'après la Révolution que Daquin, pour la première fois, évoque un "traitement moral" de la folie, préconisant la douceur, la pa­tience et le secours moral, ne considérant plus la folie comme le langage du diable, mais proposant — comme la Gestalt — de la "caresser pour s'en faire une amie".


En 1805, le fameux Esquirol, qui bénéficie d'un pavillon dans le plupart de nos hôpitaux psychiatriques d'aujourd'hui, publiait sa théorie Des passions considérées à la fois comme causes, comme symptômes et comme moyens curatifs de l'aliénation mentale. Ce thème de la passion comme secousse a donné naissance, par la suite, aux traitements de choc, chocs à l'in­suline ou à l'électricité — toujours employés de nos jours.


Vers la même époque, Pinel préconisait l'enlèvement des lourdes chaînes des aliénés et il alla jusqu'à préconiser… de parler avec douceur avec les fous, pour leur redonner quelqu'espoir ! Cependant, le médecin doit conserver tout son pouvoir non partagé, il doit rester, dit-il, un personnage redoutable et inatta­quable, ce qui implique qu'il ait "un physique noble et mâle, autoritaire et séducteur", ce qui, ajoute-t-il, constitue "une des premiè­res conditions pour réussir dans cette profession".


Mais le célèbre Pinel, peu après, revenait à des méthodes plus traditionnelles, préconisant

de réprimer les fous sans leur laisser porter le moindre coup, les infirmiers devant s'en saisir par derrière et les enchaîner — tout en les forçant à baiser la main du directeur, la véritable guérison impliquant de dompter le malade. Le gouvernement des fous doit être absolu et toutes les questions doivent être décidées sans appel par le médecin, la folie de­vant être non pas comprise, mais maîtrisée.


En fait, la Révolution française avait commencé par une libération d'aliénés : la prise de la Bastille n'était guère autre chose. La Loi de 1838 établit que l'internement est une mesure médicale et non judiciaire, prise dans l'intérêt même du malade, et donc rapide, discrète… et sans appel.


Je ne parlerai pas ici de Charcot, de Janet, de Kraepelin, de Kretschmer ou de Freud — sauf pour rappeler la longue hostilité française à la psychanalyse, qui n'a conquis un droit de cité chez nous qu'avec 30 ans de retard sur les pays anglo-saxons, retard qui persiste chez nous dans sa remise à jour, voire dans sa remise en cause partielle.

Mais il est en­core trop tôt aujourd'hui pour évoquer cela en France, même dans un environnement gestaltiste !…


C'est en 1923 que "l'asile de fous" prend le nom d'hôpital psychiatrique, appelé aujour­d'hui Centre hospitalisé spécialisé — où sont encore internés près de 100 000 personnes — et ce n’est qu’après la "Révolution de 1968" que se crée officiellement la profession de psychiatre.


Et aujourd'hui ?


Où en sommes-nous aujourd'hui ?

La question du diagnostic demeure, plus actuelle que jamais.


Après ce survol historique, un rapide panorama méthodologique : je viens de retracer — très brièvement — quelques étapes de la recherche tâtonnante pour percer les mystères de l'esprit humain et de ses caprices. Mais l'arbre de la connaissance est très feuillu, ses branches se développent dans tous les sens, dans un buissonnement incontrôlable.


Ainsi, par exemple, Serban Ionescu distingue aujourd'hui pas moins de quatorze ap­proches différentes de la psychopathologie.

Rassurez-vous, je n'en ferai pas une analyse exhaustive, mais juste huit échantil­lons.


1. L'approche traditionnelle — tout au moins en Occident, et surtout en France et au Brésil — est psychanalytique. Je vous en ferai grâce puisque vous la connaissez tous, plus ou moins. je voudrais juste évoquer rapidement la célèbre analyse qu'en fait Popper qui la définit comme "pseudo-science". En effet, elle est toujours confirmée, du fait de sa stratégie "immunisante", soutenant que, pour l'inconscient, les contraires ont le même sens ! Et Lacan lui-même d'ajouter "c'est une pratique délirante" (Lacan, 1977).

Elle peut tout expliquer après coup, mais elle ne peut rien prédire, puisqu'à chaque situa­tion, on peut réagir d'au moins deux manières opposées. Ainsi, par exemple, la dénéga­tion est volontiers interprétée comme une confirmation ! On peut devenir délinquant pour avoir été délaissé… ou trop gâté ! On peut devenir un génie créateur pour avoir été aimé, encouragé… ou abandonné !


2. L'approche scientifique contemporaine se veut comportementale ou behavioriste, basée sur la stricte observation des faits. Mais quels faits ? Qui se porte garant d'une sé­lection objective des éléments retenus ?

Ses adversaires mettent en avant la fameuse "substitution de symptômes" : la guérison apparente d'un symptôme donnerait naissance à un autre symptôme de substitution. Mais, comme vous le savez sans doute, les recherches scientifiques récentes n'ont laissé apparaître que 5 à 10 % de tels cas, les seuls repris d'ailleurs, dans l'abondante littérature psychana­lytique !


3. Proche du comportementalisme, on trouve le cognitivisme, qui s'intéresse aux pro­cessus d'acquisition et d'assimilation des informations et des connaissances. Le sujet est conçu comme un système de traitement de l'information. Les cognitivistes se sont inté­ressés, par exemple, aux fameuses et inquiétantes informations subliminales, inférieures à 4 millièmes de secondes, non perçues consciemment, mais modifiant notre comporte­ment, à notre insu. De nombreuses expériences confirment ces influences inconscientes, mais conditionnées, à mi-chemin entre psychanalyse et comportementa­lisme, largement exploitées en publicité et en politique. Vous connaissez sans doute la célèbre expérience de lancer de fléchettes sur une cible, accompagnée d'un message "subliminal " (c'est-à-dire, en dessous du seuil de perception), d'une durée de 4 millisecondes : "C'est mal de frapper papa" ou, au contraire : "On a bien le droit de frapper papa, si on n'est pas d'ac­cord ! ". Les résultats varient presque du simple au double, en totale inconscience, alors que l'ef­fet est négligeable lorsque le même message est conscient et explicite (Ionescu, 1991).


4. L'approche existentialiste développée par Rollo May, Ronald Laing, Victor Frankl ou Paul Tillich, insiste sur l'importance du concept de responsabilité et de choix. L'angoisse du choix et la recherche de sens guident nos actions et construisent notre ca­ractère. On ne devient humain qu'au moment de la décision. Cette conception — proche de la Gestalt — s'oppose donc à l'importance accordée par la psychanalyse aux pulsions et motivations inconscientes. L'angoisse existentielle et la tentative de déni de la mort en seraient deux symptômes habituels. Vous avez reconnu, sans doute, un courant défendu chez nous, notamment par Noël Salathé.


5. La psychopathologie phénoménologique, issue notamment des travaux de Husserl, Heidegger et Binswanger, s'intéresse à l'homme "en situation". Elle ne recherche pas les causes d'une maladie ou d'une déviance, mais le comment de l'expérience et son inten­tionnalité. Elle procède donc non par déduction, mais par induction. La Gestalt a été définie comme une "phénoménologie appliquée".


6. L'approche structuraliste, développée par exemple par Kurt Goldstein (un des maîtres de Laura Perls) — mais aussi par Hartmann (un des superviseurs de Perls) et, de nos jours, par Kernberg et Kohut — s'intéresse à l'interdépendance des parties dans le tout, à leur disposition mu­tuelle, à leur configuration globale ou "Gestalt". Bergeret a dé­veloppé chez nous une psy­chopathologie structuraliste autour de trois états : psychotique, névrotique et borderline.


7. La psychopathologie biologique, ou plutôt, psycho-neuro-immunologique, s'inté­resse aux données génétiques (notamment, à partir des études sur les jumeaux), psycho­physiologiques (rôle des hémisphères cérébraux et des neurotransmetteurs ). Elle a pu démontrer le rôle central de certaines neurhormones et de leur métabolisme dans le com­portement et le vécu intime de chacun : la sérotonine, la dopamine, l'adrénaline, les en­dorphines (et la centaine d'autres neurotransmetteurs aujourd'hui décelés). Ce sont elles qui "nous dirigent le coeur" selon la célèbre chanson de Guy Béart. Bien entendu, ce rôle est "circulaire" : le stress engendre de la cortisone… et la cortisone engendre le stress ! Vous avez reconnu là un domaine qui me passionne depuis deux décennies.


Le temps me manque et votre patience s'épuise, aussi je ne ferai que mentionner cinq autres approches évoquées par Ionescu : développementale, écosystémique, ethnopsy­chopathologique, éthologique, expérimentale et sociale.


8. Je terminerai ce rapide tour d'horizon par l'approche athéorique, qui se veut sans aucune idée préconçue (voire sans idée du tout ! ) — j'ai nommé l'incontournable DSM. IV. Devant la multiplication des théories de psychopathologie, et l'impossibilité — dans l'état actuel des recherches — de les concilier toutes et d'en réfuter aucune, les Amé­ricains, pragmatiques, ont proposé de ne pas chercher à comprendre ni à expliquer, mais de se contenter de constater : d'où la naissance du DSM, qui se veut purement des­criptif et statistique, un simple catalogue numéroté, permettant de surcroît, un traitement inter­national immédiat par ordinateur, de chacun des quelques 800 troubles et variantes inven­toriés, toutes désignées par un nombre codé.


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Je n'abuserai pas de votre patience en commentant mon propre schéma, que Catherine Deshays a affiné et enrichi, puis joliment rebaptisé "la boussole des personnalités" — schéma qu'elle présentera cette après-midi dans un atelier. Il s’agit d’une tentative d’intégration d’une approche psychanalytique et du DSM. IV, soulignat les notions de polarités, évitant d’enfermer le client dans une grille pré-établie et respectant la singularité du profil personnel de chaque être humain.

Pour ma part, je récuse la succession traditionnelle : diagnostic, suivi d’un traitement, au profit d’une évaluation dynamique, régulièrement reconsidérée, et impliquant les interre­lations systémiques permanentes de l’ensemble du champ : mon regard subjectif et mon attitude modifient l’émergence de la figure et donc, le diagnostic ; ce dernier modifie l’inter­vention ou le traitement, tout comme le traitement, à son tour, précise ou trans­forme le diagnostic. De même, en médecine, l’efficacité du lithium permet d’inférer, après coup, le diagnostic de psychose maniaco-dépressive. Diagnostic et stratégie thérapeutique sont donc tributaires, de manière circulaire, à la fois du temps et de l’espace, de l’histoire et de la géographie de l’ensemble client-thérapeute-environ­nement.


Et si, pour conclure cette éternelle et récurrente "question du diagnostic", au lieu d'être maso, schizo, parano ou hystéro, nous nous contentions d’accueillir "l’émerveillement de l’instant", en étant simplement nous-mêmes : Anne, Jacques, Marie-Noëlle ou Serge… ici et aujour­d'hui ?


Je vous remercie de votre attention.




Serge GINGER




Brève bibliographie



• Delisle Gilles • Les troubles de la personnalité, perspective gestaltiste. Montréal,

éd. du Reflet. ( 3° éd. 1993)


• ginger Serge (1995) Le profil de notre personnalité, in La Gestalt, un art du

contact, chap. 10, Bruxelles-Paris, Marabout. (7e éd. 2004)


• Ionescu Serban (1991) • Quatorze approches de la psychothérapie. Paris, Nathan.


• Israël Lucien (1976) • L'hystérique, le sexe et le médecin. Paris, Masson.

(6e éd. 1985)


• Nathan Tobie & al. (1998) • Psychothérapies. Paris, Odile Jacob.


• Postel Jacques & Quétel Claude (1983) • Nouvelle histoire de la psychiatrie. Paris, Dunod. (2e éd. 94)


• Salathé Noël (1995) • Psychothérapie existentielle, une perspective gestaltiste.

Genève, IPGE.

1 Psychologue clinicien, psychothérapeute didacticien au SNPPsy, membre titulaire de la SFG, vice-président de la FFdP, enseignant en psychopathologie depuis 17 ans.