Université Inter-âges de Versailles

Vendredi 5 décembre 2008


Les neurosciences, la vie quotidienne et la psychothérapie


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ar Serge Ginger


Psychologue ; psychothérapeute formé en psychanalyse, psychodrame, Gestalt et EMDR

Fondateur de l’École Parisienne de Gestalt (EPG)

et de la Fédération internationale des Organismes de Formation à la Gestalt (FORGE)

Professeur de neurosciences à la Sigmund Freud University (Paris)

Secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P)

Président de la Commission européenne d’accréditation des instituts de formation

à la psychothérapie, de l’European Association for Psychothery (EAP).



Introduction


Rassurez-vous : je vais essayer de partager avec vous les récentes découvertes des chercheurs scientifiques, mais cela en termes simples et accessibles à tous. D’ailleurs, je suis moi-même un psychothérapeute praticien, au contact quotidien avec la réalité de tous les jours, et non un chercheur de laboratoire.

Teilhard de Chardin disait, il y a un siècle : « il existe trois infinis : l’infiniment grand, l’infiniment petit et l’infiniment complexe. A la fin de XXe siècle, on a entamé la domestication de l’infiniment grand, avec la conquête spatiale, celle de l’infiniment petit, avec la fission de l’atome et les nanotechnologies… et le programme du siècle à venir concerne maintenant l’infiniment complexe, c’est-à-dire le cerveau et la génétique.

Plus récemment, Hubert Reeves confirme, de son côté, que le cerveau humain est, de loin, la structure la plus complexe de tout l’Univers.

Depuis le lancement de la « décennie du cerveau » (1990-2000) par une proclamation du président des États-Unis, le 17 juillet 1990, les connaissances ont beaucoup évolué, notamment grâce aux nouvelles technologies d’imagerie médicale, en particulier l’IRM (l’imagerie par résonance magnétique) et la TEP (tomographie à émission de positons) — techniques que j’appellerai plus simplement le « scanner » — qui permet de voir fonctionner le cerveau en temps réel et au millimètre près.

Je soulignerai au passage, les différences importantes de fonctionnement du cerveau des femmes et des hommes (à un niveau statistique, bien entendu, puisqu’il y a de nombreuses exceptions — ici même : on considère, en effet, que 20 % des hommes fonctionnent avec un cerveau de type « féminin », et 10 % des femmes, avec un cerveau de type « masculin »).


Freud lui-même écrivait, dès 1920 :

« La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées ; nous devons nous attendre à recevoir d'elle les lumières les plus surprenantes, et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s'agit peut-être de réponses telles qu'elles feront s'écrouler tout l'édifice artificiel de nos hypothèses » — écrivait Freud, en 1920


« Quelques décennies » ont passé : où en sommes-nous aujourd'hui ?


Aujourd’hui, nous assistons au développement progressif de nouvelles disciplines… aux États-Unis et peu à peu, en France : la neuropsychanalyse et les neurosciences sociales1.

Je vais maintenant entrer un peu plus dans le détail des recherches contemporaines, et je vais citer quelques exemples concrets, illustrant l’intérêt de l’étude des neurosciences, non seulement pour une exploitation optimale des techniques neurochirurgicales ou psychothérapeutiques, mais aussi pour notre vie quotidienne.

Ces recherches ont révélé de nombreux aspects du fonctionnement du cerveau qui étaient peu connus auparavant, bien que souvent pressentis intuitivement par plusieurs précurseurs, tels que Freud, Ferenczi, Reich ou Perls, le fondateur de la Gestalt-thérapie — qui propose une approche globale, holistique, intégrant les cinq dimensions principales de l’être humain : physique, émotionnelle, cognitive, sociale et spirituelle (que j’ai symbolisée par un pentagramme, une étoile à cinq branches).


Je voudrais souligner l’intérêt des approches dites « psychocorporelles », par rapport aux approches traditionnelles, essentiellement verbales, comme la psychanalyse.

En effet, tout contact ou mouvement du corps mobilise l’hémisphère droit du cerveau, lequel est directement relié aux zones limbiques profondes du cerveau émotionnel — par « la voie perforante » — liaison synaptique originale qui n’a pas son équivalent dans le cerveau gauche, verbal et rationnel.

Toute émotion est accompagnée de production de neurotransmetteurs spécifiques (on en connaît aujourd’hui près d’une centaine) qui modulent l’humeur et la pensée. La plupart de ces neurotransmetteurs circulent à l’intérieur du cerveau et du corps de chacun, mais certains d’entre eux diffusent dans l’environnement de l’organisme et « touchent » ainsi l’interlocuteur qui se trouve à proximité — que ce soit le partenaire de le vie quotidienne ou le psychothérapeute : je veux parler des fameuses phéromones — qui constituent notre réel « 6e sens », le sens chimique, un des éléments de ce qu’on appelle habituellement l’intuition.

Notre 6e organe des sens, l’OVN (l’organe voméro-nasal) est invisible à l’œil nu et situé dans la profondeur du nez ; il est chargé de capter ces phéromones (qui traduisent notre humeur profonde). À chacune des six émotions de base2 (joie, tristesse, peur, surprise, colère, dégoût), correspond une phéromone spécifique. L’OVN est totalement distinct des voies olfactives, n’a aucune odeur, et n’a aucune liaison directe avec les zones corticales de notre cerveau conscient. Ses informations sont donc totalement inconscientes et touchent directement notre sensibilité profonde, non verbalisable. Lorsque je dis « Cette personne, je ne peux pas la sentir ! » ou, au contraire, « cette autre personne m’est d’emblée très sympathique », je ne sais généralement pas expliciter pourquoi : nous avons tout simplement « des atomes crochus » !

Je soulignerai aussi l’importance de la verbalisation a posteriori des affects ressentis, qui seule permet l’enregistrement, « l’engrammation » cérébrale des expériences vécues, et donc leur exploitation ultérieure. C’est un peu comme lorsque nous avons terminé un travail sur l’écran de notre ordinateur : pour en conserver la trace et pouvoir le retrouver et le poursuivre, il est indispensable de donner un titre verbal au document. Le titrage n’est pas le travail, mais un simple repère. De même, l’échange verbal n’est pas en soi un travail thérapeutique, mais un repérage.

Bien entendu, la parole peut déclancher une émotion, et donc des modifications neuronales (poussée de dendrites et « buissonnement neuronal », nouvelles liaisons synaptiques, production de neurotransmetteurs ou hormones…). Dans ce cas, on peut dire que « Le Verbe s’est fait chair » : la parole s’est incarnée et a produit un effet, potentiellement durable. Mais la plupart du temps, dans l’expérience quoti­dienne, le processus est inverse : l’émotion vient d’abord, spontanément ; elle n’est conscientisée et verbalisée que dans l’après-coup.


En fait, dans notre fonctionnement, tout est circulaire et systémique et les interrelations biologiques, psychologiques et sociales sont permanentes, et fonctionnent dans les deux sens : l’appétit me fait saliver… et la salive aiguise mon appétit ; « lorsque je pense à Fernande, je b… », dit le poète… et réciproquement !

Une caresse ou un massage stimule la production d’ocytocine et l’ocytocine développe mon besoin d’attachement, de tendresse, de compréhension, de confiance et d’amour.


On a récemment découvert que la myélinisation des circuits de liaison orbitaux-frontaux (isolation des circuits par une gaine de myéline, comme du « chatterton ») qui permet la transmission et l’intégration des informations sur l’état interne de l’organisme (notre équilibre physiologique, nos émotions, nos pensées) et sur son environnement, et donc une prise de décision adaptée, cette myélinisation n’est terminée, en moyenne, qu’aux environs de 25 ans, bien plus tard qu’on le supposait. Cela explique les comportements parfois impulsifs des adolescents, dont les émotions (limbiques) ne sont pas encore suffisamment contrôlées par le niveau corticofrontal (conscient et volontaire).

On rencontre le même type d’immaturité ou de dysfonctionnement neuronal chez les autistes, et même chez les personnalités limites (borderline) : leur amygdale est hypersensible à tout stress, tandis que leurs liaisons frontales sont, au contraire, inhibées — ne permettant pas une gestion saine de l’humeur et des passages à l’acte.


La psychothérapie est-elle une « chimiothérapie » qui s’ignore ?


Les récents travaux des neurosciences permettent de réaliser qu’en fait, tout apprentissage — ou toute psychothérapie — agit directement sur les circuits synaptiques et modifie parallèlement la biochimie interne du cerveau : la production des hormones et des neurotransmetteurs (tout spécialement la dopamine, la sérotonine, l’adrénaline, la noradrénaline, la mélatonine, les endorphines, la testostérone, les œstrogènes…).


Trois étapes historiques


Il y a quelques années encore, on opposait volontiers la chimiothérapie et la psychothérapie : les psychiatres traditionnels souriaient, avec condescen­dance, devant les affirmations des psychanalystes et des psychothérapeutes, et considéraient leurs méthodes comme des « distractions mondaines à la mode ». Ils ne faisaient confiance qu'aux médicaments, dûment contrôlés par les laboratoires, après des tests en « double-aveugle » (ni le prescripteur, ni le patient ne savent quel produit est utilisé), les comparant à des placebos.

Après la révolution des antibiotiques en médecine infectieuse, vint la révolution des neuroleptiques en médecine mentale : enfin, on met au point une série de molécules qui agissent directement au niveau du cerveau, et modifient le comportement (tranquillisants, antidépresseurs, stimulants, antidélirants ou neuroleptiques). En 1952, Henri Laborit introduit un nouveau produit psychotrope (qui se dirige vers le psychisme), le largactil, qui permet la suppression progressive de la camisole de force dans les hôpitaux psychia­triques, la remplaçant par ce qu'on a appelé (non sans quelque exagération) « la camisole chimique ».

On sait que la France détient le triste record du monde d'utilisation des psychotropes (on en consomme 3 fois plus que nos pays voisins : l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Italie) : le Temesta est devenu « l'aspirine de la psyché », et un million et demi de nos concitoyens consomment aujourd'hui du Prozac. Ces nouveaux médicaments, pour efficaces qu'ils soient, ne sont pas dénués d'effets secondaires regrettables : somnolence, perte d'initiative, trous de mémoire, baisse sensible de la libido… voire même suicide — notamment en cas d'interruption inopinée d'un traitement chez un jeune (dont les circuits frontaux de contrôle sont encore immatures).


Dans un second temps, au lieu d'opposer chimiothérapie et psychothérapie, on les a associées : la psychothérapie permet en effet, de prolonger et d'élargir l'effet d'un traitement médicamenteux et d'en diminuer progressivement le dosage ; tandis qu'à l'inverse, la chimiothérapie permet de préparer, d’accompagner ou de prolonger une approche psychologique, en apaisant l'angoisse ou en coupant le délire.


Mais voici que nous entrons aujourd’hui dans une troisième phase : non plus opposition, ni simple complémentarité, mais identité d'un processus à deux faces : on prend conscience que, finalement, certaines psychothérapies sont des chimiothérapies qui s'ignorent. En effet, leur action entraîne des modifi­cations neurophysiologiques et biochimiques, rapides et durables (on a « réamorcé la pompe »). Avec l'avantage majeur qu'elles sont strictement personnalisées et dosées spontanément par l'organisme — et cela, parfois au milliardième de milligramme près, tout comme notre organisme surveille sans cesse le taux du sucre dans le sang, celui des vitamines ou des Oméga 3, ou encore du fer ou du zinc (sans lequel nous n'aurions pas d'odorat).


Une biochimie subtile et personnalisée


Ainsi, par exemple, une injection d'un milliardième de gramme d'ocytocine (l’hormone qui fait monter le lait, et qu’on a baptisée l’hormone de l’attachement — voire de l’amour) suffit à induire aussitôt un comportement maternel chez une femelle vierge (rate ou brebis)3. On sait aujourd’hui que cette ocytocine est produite non seulement lors de l’accouchement, mais aussi à chaque contact physique, lors d’un massage, pendant la caresse d’un bébé, pendant tout échange de tendresse, ou encore à l’occasion d’une relation amoureuse.

Aucune administration d’un médicament externe ne peut prétendre s'adapter aux variations subtiles et permanentes des dosages hormonaux de chaque patient : chaque repas, mais aussi chaque émotion, modifie cet équilibre. Rappelons, à titre d'exemple, que tout succès (amoureux, sportif, social ou intellectuel) peut doubler instantanément le taux de testostérone dans le sang ; quant à un orgasme, il multiplie… par quatre le taux de la testostérone et des endorphines4 ! Cette poussée subite de testostérone explique le comportement — somme toute surprenant — des joueurs de football qui viennent de marquer un but, et qui se « sautent » dessus, dans un élan érotique spontané, où encore celui des vainqueurs de Formule 1 automobile qui, dans leur excitation sexuelle, ouvrent une bouteille de Champagne… pour « l’éjaculer », au lieu de la boire !

Rappelons-nous que la même testostérone gère à la fois l'agressivité, mais aussi le désir sexuel — y compris, chez la femme, bien sûr. C’est donc l’hormone de la conquête, aux deux sens du terme (conquête amoureuse et conquête militaire). Ces deux pulsions fondamentales de vie — et de jeunesse — (survie de l'individu par la défense agressive du territoire, et survie de l'espèce, par la copulation) sont en fait très liées ; elles se côtoient d’ailleurs dans l'hypothalamus, séparées simplement par une zone de quelques millimètres… entre la zone de l’agressivité et celle de la sexualité : la zone de gestion du plaisir !


Et maintenant, deux petites expériences


Au fait, nous pouvons de suite faire un peu de pratique… et vous pouvez faire monter mon taux de testostérone !…

(silence… en attendant des applaudissements). Merci !

A mon tour, maintenant, de vous proposer une auto-injection — indolore, rassurez-vous — de dopamine (silence)… Voilà qui est fait ! Mon silence, imprévu, a stimulé votre curiosité, et pendant cette fraction de seconde d’attente et de surprise, vous avez fabriqué de la dopamine, le neurotransmetteur de l’éveil, de la vigilance, de la curiosité.


Mais il est temps maintenant que nous nous calmions !… De fait, je viens de vous faire une nouvelle piqûre ; mais cette fois-ci, c’était de la sérotonine, le neurotransmetteur de remise en ordre, induit par les explications rationnelles que je suis en train de proposer.

En somme, on conduit un entretien comme on conduit une voiture : en jouant sans cesse sur les pédales d’accélérateur et de frein (la dopamine et la sérotonine) !

On a isolé aujourd'hui près d'une centaine de ces neurotransmetteurs et neuromodulateurs. Ainsi par exemple, tout désir (la faim, la soif, le sexe) et tout plaisir (même artistique ou intellectuel) est corrélé à trois neurotrans­metteurs :

• la dopamine, associée à la tension du désir ;

• la noradrénaline, liée à l'excitation du plaisir partagé ;

• les endorphines, entraînant le bien-être et le repos.


Deux prises de sang, espacées de 5 minutes de rêveries optimistes (visualisation positive), permettent de constater une élévation moyenne de… 53 % du système immunitaire !

Aux États-Unis, on a pu filmer récemment, par diverses techniques d'imagerie cérébrale, des modifications — visibles et durables — de circuits neuronaux, par stimulation répétée du buissonnement neuronal (le « sprou­ting »), provoqué par une psychothérapie chez des malades atteints de TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Parallèlement, on peut constater, bien entendu, d’une manière analogue, des modifications rapides à la suite de traitements chimiothérapiques.

Ces deux approches ne sont donc pas concurrentes mais complémentaires, voire interchangeables. La matière agit sur l’esprit et l’esprit agit sur la matière, de manière systémique et circulaire.


Hérédité et acquis (génétique et plasticité)


Il en est de même de l’éternel faux problème de l’inné et de l’acquis.

Est-il possible de développer des aptitudes chez nous-mêmes ou chez nos enfants, ou de modifier des comportements ou des ressentis, si tout est prédéterminé par nos dispositions héréditaires ?

Malgré toutes les idéologies démocratiques et fort sympathiques, il n’est pas contestable que nous ne naissons pas égaux : il y a des grands et des petits, des blonds et des bruns, des Noirs et des Blancs, tout comme il y a des personnes plus intelligentes et d’autres moins douées, que ce soit pour les mathématiques, pour le sport ou la musique.

Alors, tout serait-il joué à la naissance ? Heureusement, non ! Nous ne sommes ni prisonniers de nos gènes… ni libres pour autant !

En chiffres très arrondis, les chercheurs considèrent aujourd’hui que notre caractère peut se répartir en trois tiers environ. Il apparaît :

• pour 1/3 héréditaire : chromosomes du noyau de la cellule (notre ADN, hérité directement de nos parents et ancêtres) ;

pour 1/3 acquis : bain culturel, éducation, exercice ou entraînement, circon­stances fortuites… ou psychothérapie ;

pour 1/3 congénital, c’est-à-dire acquis pendant la vie intra-utérine ; ainsi, par exemple, l’embryon est féminin pendant les premiers jours5, et la masculinité est une lente conquête, hormonale puis éducative et sociale. En réalité, la fille n’est pas un garçon qui a perdu son pénis (comme le supposait Freud), mais le garçon est une fille qui a gagné un pénis. (L’envie de pénis est une hypothèse non vérifiée par l’expérience : ainsi, chez les trans­sexuels, on trouve aujourd’hui… cinq fois plus d’hommes désirant devenir une femme, que de femmes voulant devenir un homme !).


Les parts héréditaire et congénitale semblent donc importantes : ainsi, par exemple, chez les vrais jumeaux garçons (homozygotes), si l’un est homosexuel, l’autre l’est aussi dans 60 % des cas ; chez les faux jumeaux (hétérozygotes), on ne le constate que dans 30 % des cas, soit deux fois moins souvent, et dans 6 % seulement de la population générale.


Pour de nombreuses aptitudes ou prédispositions — telles que l’intelligence, le don pour la musique, le sport, et même l’optimisme6 — on retrouve ces trois tiers (héréditaire, acquis in utero, acquis pendant la vie), dans des proportions légèrement variables. Ainsi face à un même événement, chacun voit « le même verre à moitié vide ou à moitié plein »…

De toute façon, il ne s’agit que de prédispositions qui peuvent être soit développées, soit inhibées par l’éducation (ou par la psychothérapie) — lesquelles favorisent ou neutralisent l’expression des gènes sous forme de protéines (comme l’a démontré Eric Kandel — professeur à l’université de New York, qui poursuit ses recherches à 80 ans… comme moi ! — et vient d’obtenir le Prix Nobel, en l’an 2000). L’hérédité n’est donc pas une « fatalité » !

Il convient de souligner, au passage, qu’un accroissement de 20 % seulement transformerait un homme normal (1,85 m) en géant (2,20 m), ou encore un bon coureur, en véritable champion. La psychothérapie peut, de même, transformer un gros dépressif… en dépressif léger !… voire en homme heureux !

Cette plasticité fondamentale du cerveau se maintient tout au long de la vie, jusqu’à un âge avancé : ainsi, on vient encore de confirmer récemment par des techniques d’imagerie cérébrale que la surface du cortex représentant la main gauche s’élargit régulièrement chez les violonistes, pendant que les aires d’orientation spatiale vont jusqu’à doubler chez les chauffeurs de taxi londo­niens (Londres est célèbre pour la complexité de son trafic).


Neurophysiologie du rêve


L’approche psychanalytique du rêve a dominé entre les années 1900 et 1960 ; mais il n'en est plus de même aujourd'hui — notamment à la suite des travaux du Français Michel Jouvet.

On sait aujourd'hui que Freud s’était partiellement trompé : le fœtus commence à rêver in utero, dès le 7e mois de la grossesse — donc, bien avant d'avoir des souvenirs conscients à refouler, « censurés » par le Surmoi, selon l’hypothèse périmée de Freud — et le nouveau-né continue de construire ainsi son cerveau pendant 60 % de son temps. La femme enceinte double d'ailleurs son temps de rêve pour « accompagner » la neurogénèse de son enfant. Il n'est pas exclu qu'une partie de ces rêves permette la transmission inconsciente de son vécu émotionnel, grâce à un enregistrement précoce durant les longues périodes de rêves partagés (Ginger, 1987).

Non seulement le fœtus, mais tous les animaux supérieurs rêvent. Les animaux à sang froid (poissons, reptiles) ne rêvent jamais, mais leur système nerveux se régénère tout au long de leur vie (c’est la neurogénèse permanente), renouvelant les neurones, tout comme les autres cellules plus « vulgaires » de leur organisme. Ainsi, ils en sont réduits aux instincts innés, mais ne peuvent conserver des apprentissages complexes.

Pendant le rêve, l'animal est particulièrement vulnérable : il est provisoi­rement aveugle, presque sourd et paralysé. Quoi d'étonnant alors que le rêve implique tout d'abord un sentiment de sécurité. Ainsi, les vaches rêvent jusqu'à trois fois plus à l'étable que dans les prés ! Et les grands carnassiers, sûrs d'eux-mêmes, se permettent de rêver durant 40 % de leur temps de sommeil, tandis que les pauvres animaux pourchassés n'osent y consacrer que 5 % de leur temps !

L'homme (et la femme) rêve, en moyenne, pendant 20 % de son temps de sommeil (ce qui nous situe entre les prédateurs et les victimes !), soit environ 100 minutes chaque nuit — cela, qu'on s'en souvienne ou pas. On sait que tout le monde rêve… mais huit minutes après le réveil, 95 % du contenu des rêves a déjà été oublié !

Le rêve est aussi différent du sommeil que de l'éveil, et il implique une grande activité du cerveau : pendant le rêve, on consomme autant de glucose que pendant l'éveil… ce qui explique qu'on maigrit en rêvant (autant qu’en pratiquant le jogging) ! En fait, les 2/3 du cerveau droit sont mobilisés, au niveau hypothalamique (besoins), limbique (émotions et mémoire), cortical (images) et frontal (synthèse, projets, visions) — pendant que la communication avec le cerveau gauche (analyse verbale rationnelle et critique logique) est coupée. En revanche, la communication entre les deux hémisphères, par le corps calleux, subsiste pendant le sommeil sans rêve.

On a baptisé le rêve « le cordon ombilical de l’espèce » : il transmet, en effet, les comportements fondamentaux nécessaires à la survie. Mais, il les enrichit et les met à jour par l’enregistrement des acquis de l’expérience, permettant ainsi « l’individuation », chère au psychanalyste C. G. Jung, et la construction de la personnalité — somme de l’inné et de l’acquis.

C’est pendant le rêve que se fixeraient nos souvenirs — non seulement les informations que je suis en train de vous donner maintenant — mais surtout les souvenirs chargés d'émotions, les expériences importantes, positives ou négatives, de notre vie.

Un rat privé de rêve perd une grande partie de ses facultés d'apprentissage. Il en est de même, des patients soumis pendant de longues périodes à des traitements neuroleptiques ou antidépresseurs — qui diminuent, voire suppriment, les temps de rêve. Une privation prolongée de rêves favorise souvent l'apparition de délires compensatoires, à caractère agressif ou sexuel7, ainsi que de tendances boulimiques.

Ainsi, le rêve remplirait deux fonctions opposées mais complémentaires :

en tant que « cordon ombilical de l'espèce », il nous nourrit de notre origine révise chaque nuit notre programme génétique et valorise les fonctions de survie (agressivité et sexualité) : les chats rêvent de chasse et d'attaque, tandis que les souris rêvent de fuite et de cachettes !… Et les hommes (comme les femmes), rêvent de sexualité. Le rêve joue ainsi un rôle de « rempart contre la culture » — puisque notre éducation, elle, s'oppose souvent à ces deux pulsions vitales ;

mais le rêve serait parallèlement un important facteur d'individuation (ce qui me différencie de mon voisin), par la prise en compte de mon expérience originale.

En résumé, le rêve permettrait l'intégration de ma mémoire individuelle à notre mémoire collective, assurant ainsi une fonction essentielle de synthèse de l'acquis et de l'inné.


Le cerveau et le sexe


Les neurosciences sociales ont souligné que la sélection naturelle a « sculpté » progressivement notre génome, afin qu’il soit sensible au contact et aux relations avec nos proches. L’empathie existe déjà chez les mammifères : le rat est prédisposé dès la naissance à ressentir la détresse de ses voisins, et il module son comportement pour épargner ses congénères8. Cette attention à l’autre est d’ailleurs développée davantage chez la femelle.

Vous savez sans doute qu’on a pu montrer que l’homme et le singe possèdent un patrimoine génétique de base, commun à 98,4 % ; ce qui laisse 1,6 % de différence seulement… contre environ 5 % de différence génétique entre l’homme et la femme. Ainsi, un homme mâle est physiologiquement plus proche d’un singe mâle que d’une femme !… (Et, bien entendu, les femmes s’avèrent proches des guenons !).


Tous les chercheurs en neurosciences sont d’accord aujourd’hui pour considérer que :

Le cerveau gauche (celui qui est logique, scientifique et surtout verbal) est plus développé chez les femmes, de même que l’hippocampe (qui permet la mémorisation) ;

Et le cerveau droit (analogique, artistique et émotionnel) est plus développé chez les hommes — cela contrairement à ce que pense encore le grand public (voire même certaines personnes ici présentes !), et cela sous l’influence directe de la testostérone. De même l’amygdale des hommes est plus importante et plus réactive aux émotions fortes, comme la colère ou la peur.

L’hémisphère droit gère l’espace ainsi que l’ici et maintenant, tandis que l’hémisphère gauche gère le temps (le passé et le futur) et les frontières du moi.

Ainsi, la femme est plus portée sur le partage verbal, la communication, la collaboration et l’empathie, tandis que l’homme est centré sur l’action et la compétition. Cela n’est, bien sûr, valable que sur le plan statistique, car il y a des exceptions ! Il existe évidemment des femmes grandes et des hommes petits, des femmes « battantes » (comme Ségolène ou Martine !) et des hommes soumis, mais ce n’est pas une réalité générale ! Ces différences sont liées à la fois à l’éducation sociale et à la biologie, et se sont élaborées peu à peu, tout au long de deux millions d’années de sélection naturelle, depuis que l’homme préhistorique courait, en silence, à la chasse et à la guerre, tandis que les femmes restaient à la caverne éduquer les petits et bavarder avec eux !

À l’âge de 9 ans, les filles présentent, en moyenne, 18 mois d’avance verbale sur les garçons. À l’âge adulte, les femmes téléphonent en moyenne, 20 min par appel… contre 6 min pour les hommes. La femme a besoin de partager ses idées, ses sentiments, ses émotions, tandis que l’homme contrôle et retient les siens : il transmet des informations (« j’arriverai dix minutes en retard ») et cherche rapidement des solutions… et la femme ne se sent pas « écoutée » !

En résumé, la femme est moins émotive que l’homme, mais elle exprime davantage chacune de ses émotions, alors que l’homme est, en réalité plus émotif, mais il n’exprime pas ses émotions — ce qu’il importe de ne jamais perdre de vue, notamment dans la vie de couple !

Les différences de perception du monde sont nombreuses entre les deux sexes, et je ne ferai que les énumérer rapidement :


L’orientation


La femme est orientée dans le temps (cerveau gauche) ;

L’homme est orienté dans l’espace (cerveau droit) : l’avantage des hommes dans les tests de rotation spatiale à trois dimensions est spectaculaire, dès l’enfance9.

La femme « se repère » d’après des objets et des signes concrets : l’avantage des femmes dans les tests de remémoration et dénomination d’objets est très net.

L’homme s’oriente dans une direction abstraite : il peut « couper par un raccourci », pour retrouver sa voiture ou son hôtel. Il « sent » la direction intuitivement, mû par une sorte de boussole intérieure.

(anecdote sur la recherche d’un parking)


Les organes des sens


Globalement, la femme est beaucoup plus sensible10 :

Son ouïe est plus développée (d’où l’importance des mots doux, du timbre de la voix, de la musique)

Son sens du toucher : les femmes possèdent nettement plus de récepteurs cutanés pour le contact ; l’ocytocine et la prolactine (hormones de l’attachement et des câlins) multiplient leur besoin de toucher et d’être touchées ;

Son olfaction est plus fine : jusqu’à 100 fois, à certaines périodes du cycle.

Son OVN serait aussi plus sensible (serait-ce là ce qu’on appelle « l’intuition féminine » ?).

Quant à la vue, elle est davantage développée — et érotisée — chez l’homme (d’où son intérêt et son excitation par les vêtements, le maquillage, les bijoux, l’érotisation du nu, son attirance pour les revues pornos…). Cependant, la femme dispose d’une meilleure mémoire visuelle (reconnaissance des visages et rangement des objets).

(anecdote sur une soirée romantique aux chandelles)


Les hormones


Lorsqu’on pose un ballon par terre, les garçons shootent ; les filles le ramassent et le serrent contre leur cœur. Cela semble indépendant de l’éducation et de la culture, et donc directement lié à nos hormones.


La testostérone développe11 :

La force musculaire (40 % de muscles chez l’homme, contre 23 % chez la femme)

La vitesse de réaction et même l’impatience (92 % des conducteurs qui klaxonnent à un feu rouge sont des hommes !) ;

L’agressivité, la compétition, l’instinct de domination (le mâle dominant engendre et maintient la qualité de l’espèce)

L’endurance et la ténacité ;

La cicatrisation des blessures ; la barbe et la calvitie ;

La vision de loin (« téléobjectif », pour repérer les animaux) ;

Le lancer de précision ;

L’orientation dans l’espace (pour ramener le produit de la chasse jusqu’à la grotte)

Le goût pour l’aventure, les expériences nouvelles et le risque (les génies, tout comme les fous, sont le plus souvent des mâles) ;

L’attrait pour une femelle jeune à protéger (et surtout, susceptible d’engendrer).


Les œstrogènes développent :

Les mouvements de précision : la femme peut plier facilement chaque doigt séparément (Kimura, 1999) ; elle est très supérieure à divers tests de dextérité ;

La graisse (protection et réserve pour le bébé) : 25 % de graisse chez la femme, contre 15 % chez l’homme ;

La mémoire verbale (les noms) et la mémoire de localisation des objets ainsi que la vision de près (« grand angle » pour repérer sa progéniture et toute intrusion étrangère)

• L’ouïe : l’éventail des sons perçus est beaucoup plus large, et les femmes chantent juste, six fois plus souvent que les hommes (Durdeen, 1983) ; leur reconnaissance des sons est bien meilleure (entendre et reconnaître son bébé) ;

Elle reconnaît et nomme les couleurs avec plus de précision (c’est le chromosome X qui est porteur des cônes, nécessaires à la vision des couleurs) ;

Son odorat est développé jusqu’à 100 fois plus, à certaines périodes du cycle ;

L’attrait pour un mâle dominant, fort et expérimenté, socialement reconnu (donc moins jeune, mais susceptible de la protéger).


Trois ultimes remarques, avant de vous donner la parole :


• Le nombre de femmes qui consultent (et aussi qui offrent leurs services en psychothérapie) est environ 3 fois supérieur à celui des hommes (qui hésitent beaucoup à livrer leur ressenti) ;


Notons l’intérêt de stimuler les malades : ils guérissent plus vite lorsqu’ils sont près d’une fenêtre, (ouverte sur le monde). De même, il importe de stimuler les personnes âgées (vous avez bien compris qu’une retraite passive induit un vieillissement rapide) ;


La mode des « nouveaux pères » — qui langent et caressent leur bébé — les amène à produire beaucoup plus d’ocytocine (ce qui les rend plus doux et sympathiques… mais cela au détriment de leur agressivité et de leur production de testostérone, qui peut diminuer de 33 % !). On assiste d’ailleurs aujourd’hui à une rapide démasculinisation des hommes, sous l’action conjuguée de facteurs biologiques, écologiques, culturels et sociaux. De plus, la pollution chimique, et notamment l’invasion des matières plastiques, stimulent les œstrogènes12. Au total, la production de spermatozoïdes a chuté de moitié en 30 ans !


* * * *


Je suis malheureusement obligé d’arrêter là, car l’heure tourne, inexorablement. Je vais donc terminer — comme à la télévision — par une minute de publicité : près de deux cents livres et plusieurs centaines d'articles sont parus sur ce thème des neurosciences, depuis quelques années.

Comme vous n’avez pas tous le temps — ni le courage — de les lire, je l’ai fait pour vous : j’ai résumé en 40 pages, dans mon petit livre de poche, intitulé La Gestalt, l’art du contact, 40 000 pages d’études sur le cerveau (soit 200 livres de 200 pages). Chaque page résume donc… 1 000 pages de textes savants, reformulés en langage simple, et illustrés de métaphores.

J’ai rassemblé, par ailleurs, dans « le petit livre bleu » une centaine de réponses aux idées reçues qui circulent sur la psychothérapie et les neurosciences, avec de courts chapitres d’une page ou deux — lisibles dans le métro, comme un magazine…

Cela vous permettra de poursuivre et digérer cette conférence, à votre propre rythme…


Je vous remercie de votre attention.


Serge GINGER


Contact avec l’auteur : Mél : s.ginger@noos.fr Tél : +331 53 68 64 58 Fax : +331 53 68 64 57

Site web : http://sergeginger.net/ Tél. mob. : +336 09 76 26 51



Brève bibliographie francophone


Cyrulnik B. Les nourritures affectives. Paris. Odile Jacob. 1993 (246 p)

Cyrulnik B. De chair et d’âme. Paris. Odile Jacob. 2006 (260 p)

Damasio A. L'erreur de Descartes. Paris. Odile Jacob. 1995 (370 p)

Durden-Smith & Desimone Le sexe et le cerveau. Montréal. éd. La Presse. 1985 (270 p)

Ginger S. La Gestalt, l’art du contact. Paris. Marabout. 1995. 9e éd. 2007 (288 p). Trad. en 14 langues

Ginger S. & A.  Guide pratique du psychothérapeute humaniste, Dunod, Paris, 2008 (256 p).

Jouvet M. Le sommeil et le rêve. Paris. Odile Jacob. 1992 (220 p) et coll. Poche Points

Kimura D. Cerveau d’homme, cerveau de femme ? Paris. Odile Jacob. 2000 (250 p.)

Kolb B. & Whishaw Q. Cerveau et comportement. Bruxelles, De Boeck, 2008 (1000 p)

Le Vay S. Le cerveau a-t-il un sexe ? Paris. Nouvelle Biblioth. scientifique Flammarion. 1994 (230 p)

Perls F.  Manuel de Gestalt-thérapie, ESF, Paris, 2003 (128 p.) ; 2e édition : 2005.

Rossi E. L. Psychobiologie de la guérison. Paris. Hommes et perspectives. 1994. (450 p)

Vidal C. Cerveau, sexe et pouvoir. Paris, Belin, 2005 (112 p)

Vincent J.D. Biologie des passions. Paris. Odile Jacob. 1986 (352 p)

Vincent J.D. Voyage extraordinaire au centre du cerveau. Paris. Odile Jacob. 2007 (460 p)

• Vincent L. Où est passé l’amour ? Paris. Odile Jacob. 2007 (204 p)

Zarifian E. Le prix du bien-être. Paris. Odile Jacob. 1996 (280 p)



1 Jean Decety, chercheur français, professeur à Chicago.


2 Paul Ekman.

3 Mais si une brebis accouche sous péridurale, elle se désintéresse de sa progéniture (Odent, 2008) —ce qui n’est pas valable pour la femme qui produit aussi de l’ocytocine par son attachement psychologique au bébé attendu et désiré.

4 Morphine naturelle, neuromédiateurs de bien-être et d'auto-anesthésie.

5 Magre S. et Vigier B. (2001) Développement et différenciation sexuelle de l’appareil génital, in La reproduction chez les mammifères et l’homme. Paris : Ellipses. L’émergence du mâle débute vers la 7e semaine.

« La forme fondamentale de l’espèce, c’est la femelle » in Durden-Smith J. & Desimone D. (1983). Sex and the Brain.


6 Cf. une célèbre étude suédoise sur les jumeaux et les travaux de Lykken et Tellegen (Minnesota University).

7 on sait aujourd'hui qu'une excitation sexuelle physiologique précède tout rêve (d'environ 2 minutes), et cela à tout âge, chez les deux sexes, et indépendamment du contenu du rêve lui-même (contrairement à ce que supposait Freud).

8 un rat appuie sur une pédale pour obtenir de la nourriture. Lorsqu’il s’aperçoit que cela déclanche des chocs électriques chez un de ses compagnons de cage, il préfère se priver de nourriture que de faire souffrir son congénère.

9 Kimura Doreen (2000). Cerveau d’homme, cerveau de femme ?. Odile Jacob, Paris.

10 Plus « sensible » (organes des sens) mais pas plus « émotive » !

11 Lorsqu’elle est en concentration optimale : ni trop faible, ni trop élevée (Kimura, 1999).

12 (Tsutsumi, 2005 ; Welshons, 2006 ; Lucy Vincent, 2007).